LE STYLE AU QUOTIDIEN
Quelles matières porter en été ?
J’ai pour objectif avec ces deux articles « fondateurs » de rentrer plus dans les méandres de la saisonnalité de la garde-robe de l’homme. Je vais découper ces articles en deux parties : dans un premier temps, les matières. C’est vraiment par là qu’on saisonnalise sa garde-robe et qu’on la rend pratique. Ensuite, on regardera de plus près l’utilisation des couleurs et le travail du dépareillé.
Comme je l’écrivais dans l’article initial « quels costumes porter en hiver », l’été n’est pas la période préférée des sartos. Eh oui, tout simplement parce que quand il fait chaud, on peut porter moins de pièces et le simple port d’une veste peut devenir compliqué.
Mais les possibilités sont assez vastes chez l’homme pour pouvoir quand même s’amuser. Les matières et les mélanges, combinés aux couleurs et motifs sont autant de moyens de combiner chaleur et tailoring, surtout en mesure.
Commençons donc par le commencement : les matières.
La matière reine pour le tailoring reste et restera toujours la laine. La thermorégulation, la résistance au frottement, la solidité, l’élasticité naturelle et la capacité à retenir la teinte en font une matière absolument idéale pour les vêtements et le costume spécifiquement. Oui, été comme hiver. On tissera avec une armure différente, tout simplement. En hiver on utilisera des tissus sergés, relativement opaques, ne laissent pas passer l’air ; en été des toiles, qui au contraire laissent l’air circuler.
Les toiles de laine ont pour caractéristique principale le fait d’être tissées de manière à laisser passer l’air. Quand on les tient à la lumière, on voit au travers. La transparence sera plus ou moins marquées en fonction des tissus et bien sûr, des teintes. Un tissu très clair aura tendance à montrer plus de transparence ; une référence plus « brute » aura aussi tendance, par son tissage plus espacé qu’un tissu avec plus de finesse, à montrer plus de transparence – je pense naturellement à un Fresco classique, un Fox Air ou un Sopra Visso. Ce point-là est une donnée plus qu’un problème ; je veux dire par là qu’il est entendu qu’une veste avec un tissu « d’été » aura un peu d’aération visible et si on distingue (très) légèrement la chemise blanche au travers du dos de la veste, ça n’est pas grave.
Ceci étant dit, outre l’aération, on obtient naturellement un tissu plus mat et légèrement moins doux. Plus mat parce que les fils sont moins serrés pour permettre l’aération, ce qui aura tendance à moins refléter la lumière. Pour les amateurs de cette luminosité – ou brillance – il faudra soit essayer de « monter dans les Super », pour affiner la fibre et aller chercher ce reflet, soit ajouter du mohair ou de la soie. A noter que les deux solutions vont également adoucir le toucher du tissu – sauf avec le mohair, dont la finition rendra le tissu plus sec !
On peut maintenant parler des laines dites supérieures, comme le mohair. Les autres – cachemire et consorts – ont des propriétés thermiques supérieures à la laine – tenir plus chaud avec moins de matière. Qualité qui ne nous intéresse pas vraiment en été. Le mohair, donc, provient de la chèvre Angora qui, en gros, apporte deux caractéristiques particulières. La plus notable est que c’est une fibre particulièrement nerveuse, qui ne froisse presque pas, et qui aide à structurer une laine fine et légère en lui donnant de la tenue. Ensuite, c’est une fibre qui aide à réguler l’humidité. Mais il faut savoir qu’elle a un toucher assez spécial, très sec. Pas spécialement mon univers parce qu’il a tendance à faire briller le tissu, mais il faut reconnaitre que certains mélanges sont vraiment superbes (Fresco Mohair par exemple, vraiment canon pour un blazer / veste sport ou certaines variantes de chez Standeven, Holland & Sherry ou Loro Piana avec le Kid Mohair).
Ensuite, le coton et le lin.
Premièrement, on va sortir tout de suite le coton de la discussion pour l’été : c’est une matière naturellement de mi-saison, en tout cas dans des contrées comme les nôtres. Pour qu’il tienne à peu près, il doit être tissé serré, et pour éviter qu’il ne froisse trop vite, il doit avoir du poids. Par conséquent, il en résulte un tissu qui respire peu et relativement lourd, donc plutôt chaud. La solution pour faire qu’il devienne estival est soit de le mélanger à du lin ou de la laine pour bénéficier de leurs qualités, soit le tisser en seersucker. Là, le gaufrage permet à l’air de circuler ! Bref, n’en parlons pas plus ; le coton, de toutes façons, c’est pas foufou pour du tailoring : ça froisse, ça délave, ça se déforme, ça bouge au lavage…C’est bon pour du pantalon casual, une safari ou – exception notoire – une veste de smoking en velours ras, mais ça s’arrête là.
Mais le lin, c’est une toute autre histoire : la fibre de lin est légère, résistante, isolante et (très) absorbante – nettement plus que le coton. Tout ça en fait un bon régulateur thermique, finalement assez proche de la laine, aussi tout à fait intéressant dans les mélanges. En plus de ça, elle gonfle avec l’humidité et la chaleur et en conséquence, laisse circuler l’air. C’est pour ces raisons que le lin est la matière la plus naturellement associée à l’été, et qu’une chemise en lin est particulièrement agréable quand il fait chaud.
Le lin, avec sa texture, aura bien sûr tendance à faire un look plus casual que la laine mais, d’expérience, toujours très chic. C’est un tissu de connaisseur, dont on doit un peu plus s’occuper que son homologue avec un tissu en laine.
En plus de tout cela, c’est une matière plutôt écologique, dont la France est le premier producteur mondial. On notera là-dessus des collections de plus en plus variées en lin, que ce soit pour des vestes, des pantalons ou du costume. Je pense notamment à Maison Hellard, qui propose des lins de qualité exceptionnelle avec une direction artistique vraiment superbe.
Pour finir sur les matières : les mélanges.
Laine/lin/soie, coton/laine/soie, laine/lin, laine/mohair, coton/lin, j’en passe et des meilleurs, sont des solutions intéressantes pour offrir de la diversité d’apparence et de comportement. On prend le meilleur des deux – ou trois – mondes pour faire un tissu aux qualités hybrides. En général dans un mélange, la laine va apporter de la stabilité et de la tenue, le lin de la texture, de la résistance et du « gonflant », la soie de la tenue et de la luminosité et le mohair de la nervosité (un tissu « nerveux » réduit la tendance au froissage).
L’intérêt peut parfois être limité, quoi que ça dépende vraiment des goûts de chacun, tout comme être une vraie réussite. Je pense par exemple à certains laine/lin/soie de chez Loro Piana – je les cite, mais les chevrons de leur gamme « Mare » sont vraiment exceptionnels (le beige sur la photo juste au dessus), au même titre que leur coton/soie – ou des blends laine/lin que j’ai pu croiser chez quelques drapiers – Drago, Holland & Sherry, Alfred Brown – qui offrent un comportement très cool, avec la main douce et souple de la laine et le « gonflant » du lin. Vraiment intéressant, dans le même esprit qu’un tissu de chemise coton/lin.
D’un autre côté je n’ai jamais été très convaincu par les mélanges laine/soie, même chez des drapiers d’exception. Ceci dit, comme souvent, c’est vraiment une question de goût.
A noter cependant que beaucoup de ces mélanges sont préconisés par les drapiers pour les vestes, pas pour des costumes. Les laines / lin / soie sont souvent qualifiés pour du costume, là où les mélanges avec du coton seront plus réservés à la veste. C’est plus fragile et la tension imposée à un pantalon fait que ça ne pourra pas être aussi solide qu’un 100% laine ou lin.
En réalité, ces tissus fonctionnent très bien et c’est super pour un mariage et du port « occasionnel ». Mais ce ne sont pas des tissus pour du costume « business », il faut les traiter comme ce qu’ils sont : des tissus légers, donc relativement fragiles.
A suivre !!
By Yves Chadeyras